Le Duel, un polar islandais.

Article paru le 12 janvier 2022 sur Chess24 France et aimablement présenté par Yosha Iglésias Community manager.

Dans cette nouvelle recension, Krusti livre son analyse du roman policier « le duel », paru en 2011 et traduit en Français en 2014.

Douzième roman d’Arnaldur Indridason, auteur bien connu des amateurs de polar, Le Duel est une enquête sur un meurtre aussi sordide qu’improbable d’un gamin dans un cinéma avec en toile de fond la tension Est-Ouest, tension elle-même symbolisée par la rencontre Fischer Spassky.

En effet nous sommes en 1972 à Reykjavik et l’auteur ne se gênera pas pour doter son roman de nombreux éléments concrets ayant émaillés cette rencontre qualifiée dans le monde des échecs et même au-delà de « match du siècle ».

Digression 1. Ce livre a d’abord fait l’objet d’une approche audio. Une expérience, pas désagréable au début, à laquelle j’ai pourtant mis un terme pour 3 raisons. La première est d’avoir une tendance à écouter le soir et donc à m’endormir ce qui pose un pb le lendemain quand il faut reprendre à l’endroit où… bref un problème de marque-page électronique en somme. La deuxième ce sont les dialogues. Une seule voix se chargeant de toutes les tentatives de féminisation ou d’infantilisation selon les personnages donne des résultats parfois assez pathétiques. Je me souvenais alors de la télé polonaise dans les années 90 où, à l’identique, une seule voix doublait tous les dialogues…. Y compris les aboiements ! La troisième, sans pour autant sacrifier au syndrome de la case blanche, c’est d’avoir entendu chapitre 15 et pour commenter le début d’une des parties « il avait avancé sa reine de deux cases ». Alors là non. Quand même…

Ce roman que je ne divulgâcherai évidemment pas tient bien sûr par l’étroitesse confuse du lien entre le match et l’intrigue. Mais pas seulement.
Indridason restitue avec précision l’ambiance tendue, les caprices de Fischer, la placidité de Spassky, l’enjeu échiquéen et la guerre froide qui va avec mais le roman donne aussi à penser sur la question du in et du out prenant comme appui et l’Islande et le jeu d’échecs.
C’est ainsi que sur une dizaine de pages il pose la question de l’île et des allogènes comme il pose celle du joueur d’échecs et… des autres.

Sources :

Page 66 s’étonnant de la barbarie du meurtre un dialogue s’installe entre deux personnages avec cette question : « Je ne sais pas, tu trouves ça typiquement islandais ? Est-ce que, franchement, ça te semble vraiment islandais ? »

Puis page 76 :

« -En d’autres termes, tout ce qui est néfaste, moche et terrifiant vient de l’étranger ? s‘était étonné Albert.

-En grande partie avait répondu Marion.

-Y compris les passionnés d’échecs ?!

-Pour quelle raison vaudraient-ils mieux que les autres ? avait conclu Marion »

A vrai dire l’arrière-plan échiquéen n’est pas le seul il y a également en toile de fond l’enfance de l’enquêteur principal et plus précisément son enfance au travers de la tuberculose. Ce seront de mon point de vue les plus belles pages du livre. L’auteur décrit les séjours en sanatorium, la difficulté de traiter la tuberculose à cette époque, l’issue fatale qui était à craindre et le courage de ces enfants qui se battaient pour se débarrasser de cette maladie au prix parfois d’une chirurgie lourde.

Digression 2. Il m’est assez amusant de lire ce roman pour deux raisons. La première c’est que durant mon enfance j’ai été moi-même atteint de ce que l’on appelait une primo-infection tuberculeuse. La deuxième, conséquence directe de la première c’est que j’ai enduré pendant plusieurs mois l’absorption de (gros) cachets tous les jours et qu’en plus j’ai été confiné chez moi durant tout ce temps. La résonnance avec le héros du roman est donc troublante.

L’ouvrage nous rappelle aussi que 1972 c’est une période de grande tension entre les britanniques et l’Islande au travers de ce que l’Histoire a retenu sous le nom de « la guerre de la morue ». Idéal pour se replonger dans cette géopolitique qui refait surface régulièrement.

Tout ce qui concerne l’Islande est à la fois touchant et intéressant.
Qu’il s’agisse de culture au sens large (évocation de la saga de Saint Olaf) ou du rapport forcément complexe avec le Danemark (le passage durant lequel Marion enfant se confronte aux petits danois dans un sanatorium local est fameux) l’auteur parvient à chaque fois à trouver le ton juste.

Le dénouement plutôt inattendu (et qui clôture également une histoire d’amour assez originale et plutôt émouvante) met un terme à ce roman qui régalera la plupart des amateurs du jeu tant est crédible l’ensemble du dispositif romanesque et tant est respecté ce qu’était cette rencontre à nulle autre pareil.

Et puis comment ne pas être conquis par un ouvrage d’un auteur étranger qui rend hommage page 303 au Select de Montparnasse ?

A bientôt ici ou ailleurs.
Krusti.

Ci-dessous les quelques réactions à l’époque.


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