‘Échec et mat ou le gambit hongrois’

Article paru le 20 août 2021 sur Chess24 France et aimablement présenté par Yosha Iglésias Community manager.
Krusti, notre éminent membre Premium que l’on ne présente plus, nous livre son analyse du recueil de nouvelles Echec et mat ou le gambit hongrois, qui vient de paraître aux éditions Cambourakis.

Je voudrais, hic et nunc comme on dit, dans ce contexte si étrange qui est celui d’écrire pour chess24 un article au croisement du jeu d’échecs et de l’exercice littéraire si particulier qui est celui de rédiger des nouvelles, citer Christian Congiu. Toutes celles et ceux qui se sont intéressés à la Nouvelle comme genre littéraire ont forcément croisé ce nom d’une manière ou d’une autre. Je me contente de livrer ici le lien vers sa fiche Wikipédia mais aussi vers un entretien qu’il avait donné particulièrement bien salé. J’ai d’ailleurs en matière littéraire définitivement adopté une de ses formules à savoir « Je n’ai pas de sentiment. Je lis, c’est tout. ».
A utiliser avec des pincettes on est bien d’accord.
Bien sûr, en prolongement de cet hommage à ce talentueux écrivain trop tôt disparu j’adresse à Mathilde, sa fille, que je connais personnellement très bien mais seulement au travers d’un écran et en différé – c’est rageant – un clin d’œil appuyé plein de tendresse échiquéenne. La tendresse échiquéenne restant un concept neuf, qui vient de sortir puisque je l’invente devant vous, de fait encore peu étudié, que n’aurait à mon avis pas renié Gilles Deleuze et encore moins Félix Guattari, au carrefour de différents sentiments et d’affects assez précis mais j’y reviendrai une autre fois l’heure est à la littérature.
En route donc pour une « visite » de cet ouvrage « hongrois » intitulé « Echecs et mat ou le gambit hongrois ».

S’agit-il d’un produit d’une maison d’édition souhaitant surfer sur la vague de The Queen’s gambit ou bien d’un réel projet ficelé en dehors de ce calendrier tentant ? Nous ne le saurons jamais. Depuis Beth Harmon tout devient suspect de ce côté-là. Ceci posé la Hongrie et les échecs, depuis l’expérience réussie de Klára et László Polgár, font plutôt bon ménage dans l’imaginaire si dense du monde des échecs.
Le livre en question contient 12 nouvelles sur à peu près un siècle et demi. La plus ancienne de 1855 la plus récente de 1989.
Il se découpe en 3 parties de 4 nouvelles ces 3 parties je vous le donne en mille « Ouvertures » « Milieu de jeu » « finale » respectant à gros trait la chronologie. Quelques-unes sont extraordinairement courtes. Deux pages. Les 12 d’ailleurs doivent se lire le temps de faire un trajet Paris Tours en TGV sans encombre.
Malgré cela c’est en deux fois que j’ai été amené à lire ce petit opuscule et cela a été je crois ma chance. En effet la dernière nouvelle m’a non seulement laissé un gout amer mais elle m’a également mis un peu en colère.
Globalement des thèmes récurrents sont convoqués. Principalement la folie, la haine, la violence. Mais être licencié aux échecs c’est savoir que l’on va mener une expérience mentale un peu trash à chaque partie. Parents inscrivez vos enfants !
L’enrichissement du vocabulaire, en tous cas du mien, est au RV. J’ignorais ce qu’était un serdar (un titre honorifique au moyen Orient) et un dolman (vêtement si caractéristique dont vous trouverez un cliché en fin d’article).
Parcourons maintenant…

Ouverture.

    Une partie d’échecs périlleuse (Mór Jókai 1855)

Peut-être dans la forme celle qui ressemble le plus à un conte philosophique (au sens de ceux de Voltaire par exemple) dans un cadre oriental. Très agréable. Il y est question de pouvoir de guerre, de désobéissance, de discipline, de piège, de folie et de punition. C’est en un sens l’histoire d’un tournoi d’échecs dont les 8 participants connaissent une issue tragique, 7 meurent et le dernier, gagnant, devient fou. Je vous avais prévenu.

    Echec et mat (Dezsö Kosztolányi 1905)

L’histoire de la vengeance en quelque-sorte d’un précepteur forcé à perdre trop systématiquement. A peine terni par l’utilisation de la formulation « Damier jaune et noir de l’échiquier ».

    Echec et mat Lajos (Biró 1906)

Intéressante, un couple se déchire. Nouvelle très rythmée. Une métaphore tragique du destin. Il y est question d’une « âme grossière ». A la fin on ne plaisante plus…

    César et Abou (Kaïr Frigyes Karinthy 1915)

L’une des préférées de Libé. En gros Faut pas chercher César aux échecs. On retiendra la formule « la philosophie grecque ne l’intéressait guère, les femmes et les cartes beaucoup plus ». J’ai été amené à interrompre ma lecture à ce moment là et je restais sur une assez bonne, voire très bonne impression de cette première approche.

Milieu de partie maintenant.

    Prends du feu sur toi (Géza Gárdonyi 1893)

L’histoire d’un joueur bavard qui gave un profane. Muzio est évoqué tout comme le gambit du fou. Intérêt très moyen.

    Jeu d’échecs (Endre Ady 1905)

Ultra-brève. Inintéressante au possible, même pas drôle et Libé a bien fait d’extraire la seule phrase valable en elle-même : « ils devaient jouer depuis environ six semaines quand, pour se délasser, ils finirent par nouer une conversation » qui d’ailleurs promettait.

    Une histoire d’échecs (Jenö Heltai 1915)

Très brève, fade, avec un cavalier poussé de e4 en h5 (sans vouloir sombrer dans le syndrome de la case blanche…)

    Döbling (Gyula Juhász 1923)

Peut-être la plus amusante de l’ensemble. L’amour idéal de Platon y trouve un clin d’œil. De belles formules « Restez, mon jeune ami ! La Pologne n’est pas encore perdue !». (Et rappelons le nous sommes en 1923…)

Finale maintenant.

    Jeu d’échecs (Gyula Krúdy 1906)

Une, relativement, longue nouvelle… l’histoire à trois à savoir une femme un homme et un asile. On se demande en quoi il était utile de rameuter les échecs.

    Une partie (Sándor Márai 1944)

Ultra courte, amusante avec l’apparition de 3 noms propres chers à notre Histoire Bogolioubov, Lasker et Alekhine.

    Dialogue sur l’immortalité (István Örkény 1947)

Une histoire à la Casanova mais sans la profondeur du héros bien connu et aux limites du ridicule. Là-aussi le rapport aux échecs est douteux.

    Sacrifier sa dame (Lajos Grendel 1989)

Enorme malaise, on s’interroge sur le lien entre le sacrifice réel de la dame sur l’échiquier et le désir de viol chez une femme par un ancien condamné pour atteintes sexuelles. « Ce type, je le déteste… Et pourtant, je suis impatiente d’être à lundi, pour qu’il revienne de la campagne, ait quitté les jupes de sa femme, afin qu’avant que je te retrouve au club, il m’emmène dans l’appartement de son ami et me viole. Plus il sera violent avec moi mieux ce sera. ».

Voilà je suis resté scotché et furieux par la lecture de cette dernière nouvelle très désagréable à lire et dont le rapport aux échecs, en plus, est tout à fait douteux.
Par principe je ne veux pas condamner les autres auteurs… Disons que le reste vaut le coup. La « nouvelle », parce-que « les choses » doivent se dire de manière « ramassée » se prête à mon avis bien à notre monde. Il y a comme un challenge du côté de l’écrivain qui fait nécessairement penser à nos Blitz. C’est un peu au fond comme dans nos parties rapides. Elles doivent, malgré l’absence de réflexion profonde, rester de vraies parties d’échecs, et comporter si possible de belles combinaisons et dans tous les cas consacrer notre victoire. L’avantage c’est qu’aux échecs « on n’analyse pas un blitz ». Je n’aurais par conséquent peut-être jamais dû rédiger cet article.

A bientôt ici ou ailleurs.

Ci-dessous commentaires de l’époque.


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