Les échecs, comme l’amour et la musique…

Article paru le 4 novembre 2021 sur Chess24 France et aimablement présenté par Yosha Iglésias Community manager.

Après avoir analysé la Petite philosophie du joueur d’échecs, notre très cher Krusti nous livre sa recension du dernier ouvrage de Réné Alladaye dont le titre reprend la célèbre formule de Tarrasch.

Publié chez Privat, le livre est sorti le 7 octobre.

Vous avez aimé « Petite philosophie du joueur d’échecs » ?
Vous allez adorer « Les échecs comme l’amour et la musique… » (Oui c’est vrai, je le reconnais, le défaut principal c’est la longueur du titre mais ce qu’il est beau !!!)
Vous n’avez pas lu « Petite philosophie du joueur d’échecs » et avez constaté qu’il est désormais introuvable ?
Précipitez-vous sur « Les échecs, comme l’amour et la musique, ont le pouvoir de rendre les hommes heureux » !!!
Dans le milieu du marathon on dit souvent que le plus dur à courir est le deuxième. Il n’en va pas de même ici. Ni pour le lecteur ni pour le rédacteur.
Ce deuxième livre qui reprend en l’enrichissant l’architecture du premier semble s’être fait tout seul, en douceur, et propose la chaleureuse et merveilleuse balade d’un homme heureux d’avoir croisé le jeu d’échecs et pourtant un rien habité par le doute, les interrogations et les mystères de ce jeu infini.
Pas un roman mais des intrigues, pas un essai mais des pistes, pas une fable mais… quoique !
L’auteur plus ou moins consciemment semble poursuivre ou bien sa quête ou bien son enquête et il cherche, toujours, page après page, à mettre des mots sur des sensations, des formules sur des intuitions et des couleurs sur les 64 cases de l’échiquier.
Comme disait Giordano Bruno « Dans chaque homme, dans chaque individu, nous contemplons un monde, un univers ».
Bienvenue dans celui de René Alladaye.
L’ouvrage se découpe en 8 parties, inégales en volume. Ce qui très tôt saute aux yeux est l’immense « cabinet de curiosités » qu’il constitue tant Il donne une furieuse envie d’aller poursuivre la lecture encore plus loin et ailleurs pour continuer le périple et j’en donnerai quelques témoignages.
Pour autant loin de moi l’idée de résumer, je témoigne ici de mon seul plaisir tout en « listant » un certain nombre de points que volontairement je place en suspens. Pour plus tard. Au cas où. Qui sait ? Peut-être un jour aurai-je l’occasion de croiser René Alladaye pour l’interroger. « Gens una sumus » comme disent en cuisine les latinistes besogneux.
Sommaire :

    • Ouverture
    • L’art de la guerre
    • Les figures du pouvoir
    • La quête de vérité
    • Les échecs, science humaine
    • Vision du temps
    • Esthétique sur deux couleurs
    • Fin de partie

Mais commençons par le titre clairement un emprunt assumé à l’immense champion Siegbert Tarrasch (1862-1934) surnommé le Praeceptor Germaniae (« professeur de l’Allemagne »)
« Les échecs, comme l’amour et la musique, ont le pouvoir de rendre les hommes heureux »
Ce titre qui en première écoute semble respirer la douceur l’harmonie l’espoir et disons-le le plaisir recèle tout de même une sacrée question.
Une problématique comme l’on dirait à l’université…
Cette problématique apparait si on le met en face de cette formule qu’il est, je crois, inutile de traduire et que l’on prête à un autre immense champion (du Monde pour le coup), Alekhine (1892-1946) : « Chess, like other arts, must be practiced to be appreciated ».
C’est que cela ne va pas de soi… Est-il nécessaire de connaitre le solfège pour apprécier Brahms ?
Est-il obligatoire de jouer du piano pour frémir à l’écoute de Chopin ?
A-t’on forcément besoin de maitriser les double-croches pour pleurer sur du Tchaïkovski ?
Je pose la question dans sa forme abrupte car on sent bien derrière que tout n’est pas si simple et que se former à l’école du goût est tout sauf une aberration mais… car il y a de la place pour un mais !
Et voilà, le livre n’est encore pas entamé que déjà d’intéressantes questions se bousculent.
Et d’ailleurs concernant l’amour, terme présent également dans le titre, je n’en parle même pas. Aimer sans être aimé pourrait-il supporter la comparaison avec les transports que l’on prête aux échecs et à la musique ? Et sinon est-ce qu’on aime les échecs et est-ce qu’on prend du plaisir à y jouer en proportion de son élo (j’aime bien mettre les pieds dans le plat) ? Pour ce dernier point je reste persuadé être moi-même une preuve vivante du contraire.
L’amour. Je ne devais pas en parler, c’est fait.
L’ouverture commence en quelque-sorte par un hommage à la série « The queen’s Gambit » ce qui n’est pas pour me déplaire, les habitués de Chess24 comprendront. Les grands noms du roi des jeux sont déjà là. Fischer, Spassky, Gligoric… Une première formulation nous plonge dans un abîme de réflexion page 17 « Aux échecs, être spectateur c’est toujours déjà être partie prenante. ». De nombreuses conséquences sont à regarder/penser des suites de ce toujours… Question pour plus tard
L’art de la guerre
Il faut toujours rappeler que les échecs c’est avant tout un combat et un combat, même mené de manière courtoise (ça arrive parfois…), même mené avec élégance (dans un bon jour…) reste un affrontement.
L’auteur ne s’y trompe pas et ne nous trompe pas.
Une érudition jamais surplombante convoque Roger Caillois, Huizinga et dans la foulée les grands noms du jeu continuent de s’égrainer : Kramnik, Anand, Kasparov je ne les cite pas tous mais aucun n’est absent … et il est même question en passant des joutes entre Carlsen et Giri sur Twitter ! J’ai noté une reprise d’une formule de Fischer qui fera également l’objet d’un point pour plus tard
Les figures du pouvoir
Dans ce chapitre il est question de la « grammaire de l’échiquier » du besoin de « plier le réel à sa volonté » ce qui automatiquement chez moi fait ressortir cette possible et probable contradiction avec ce que communément nous appelons magnifiquement « l’exigence de la position ». Là-aussi le débat s’ouvre…
Page 56 le poker entre en scène en mode opposition. Jusqu’où d’ailleurs cette opposition peut-elle aller une fois dit qu’il s’agit d’un jeu à information incomplète ?
Le chapitre se déroule toujours de manière limpide et l’une des récompenses du lecteur se trouve sans doute dans cette superbe formulation de Hobbes qui s’adapte tout naturellement à la compétition échiquéenne (P 58) : « le pouvoir que l’on vous prête pèse aussi lourd que celui dont vous disposez vraiment ».
Un parallèle avec l’Amadeus de Milos Forman et nous voilà à évoquer « les expédients rhétoriques de la mauvaise foi (Voilà là aussi un sujet à creuser tant il est vrai que la mauvaise foi et consubstantielle à toutes parties d’échecs. Regardons autour de nous. Quelle est la formule la plus utilisée ? J’étais gagnant ! Ce sera ma contribution sur cette question.) chez les amateurs ». Chez les amateurs que majoritairement nous sommes on s’est bien compris.
Page 74 c’est l’intuition qui fait son apparition. Qu’est-ce que l’intuition d’ailleurs pour le joueur d’échecs ? La reconnaissance des formes et des champs de force dans sa propre base de données mentale constituée et triée au fil des années ? Peut-être bien… mais pas que…
Une formulation un rien mystérieuse concernant le fou m’a particulièrement interpellé « Sa démarche diagonale en fait une figure de la révélation oblique du réel » qui inaugure une comparaison intéressante entre le jeu d’échecs et la question du pouvoir l’auteur proposant une relation entre le cycle des parties et l’alternance en démocratie. Là-aussi j’ai hâte sur ce sujet d’échanger.
C’est dans ce chapitre qu’une amusante coquille m’a replongé dans mes anciens livres et je la garde sous le coude pour l’instant.
La question de la superstition aux échecs fait l’objet d’un traitement et je pense aussitôt aux confidences de Jules Moussard dans le N°3 de route64 : « Un poil de superstition, mon stylo ». Il faut dire que derrière Kasparov il est difficile d’innover. 13° champion du Monde né un 13 avril j’en passe et des meilleurs (Le Krusti est né un 13 mai… un vendredi 13 mai pour tout dire !).
Autant le dire l’un des plus beaux passages du livre restera pour moi ce parallèle brillant et émouvant entre Fischer et Nietzsche.
La quête de vérité De ce chapitre sur les traces de l’immense Kotov je veux tirer cette superbe formule « Pour peu qu’on ait adopté une ouverture classique, on ne ‘décide’ pas vraiment de ce que l’on va jouer : les experts des siècles passés l’on fait pour nous ». Par ailleurs l’évocation de Moscou 1985 au travers de la onzième partie continue à faire son effet.
La « grossière enveloppe terrestre de forces invisibles et merveilleuses » de Nabokov précède de peu les dernières lignes consacrées à une magnifique séquence d’amitié entre Kasparov et le déjà mythique Ivantchouk.
Les échecs, science humaine Nous jetons un œil sur, si j’osais un grand mot, l’éthologie du joueur d’échecs. J’extrais à dessein « Faut-il être un solitaire pour épouser ce jeu ou est-ce à l’inverse sa fréquentation assidue qui éloigne du monde ? ». J’ai noté pour plus tard une évocation de Beth Harmon qui vaudra à son auteur si je le croise une contre-proposition de ma part.
Le sous chapitre « des copains d’abord » restera un must pour longtemps et beaucoup, surtout quelques-un(e) s’y reconnaitront ou en reconnaitront quelques autres. Les aventures d’Alpha zéro (et par là la saga du numérique) sont par ailleurs parfaitement et délicieusement racontées.
Vision du temps
De Bergson au Dr Pipo en passant par Jibé (« Private joke » en direction des habitués de Chess24). L’auteur pointe une vraie différence avec d’autres sports/jeux et il n’y aurait aucun sens à imaginer une rencontre Rod Laver et Roger Federer alors que nous… et je rédige cette chronique au moment où Marc’Andria Maurizi (plus jeune grand Maitre français de l’Histoire âgé de 14 ans) rencontre en ce moment au cap d’Agde l’ancien Champion du Monde Anatoly Karpov. Et cela a du sens !
Esthétique sur deux couleurs
Il est question du tableau « l’ambassadeur » d’Holbein le Jeune.
Alors lecteur une chose à faire à l’occasion, rendez-vous sur cette video à 1’40’’ pour bien comprendre ce qu’est une anamorphose et ainsi bien « sentir » le piège des apparences car en toile fond il y a cette idée que pour bien jouer aux échecs il faut opérer une conversion du regard et rester vigilant quant à la nécessité de bien voir au moins autant que « bien penser »…
Fin de partie
Un seul extrait « la promenade n’a pas de fin ».
Voilà c’est dit, pour ma part je prends une option en cas de Tome 3 !
A bientôt ici ou ailleurs.
Krusti.

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