La longue bataille de Joinville-le-pont

Une première édition : Un coup d’essai, un coup de maître.

Aux échecs les tournois fermés jouissent d’une aura toute particulière et on comprend bien pourquoi. A titre personnel je suis particulièrement friand de ce format et c’est ainsi qu’à chaque réception du mensuel Europe-échecs je me précipite sur la rubrique « annonce de tournois ». Je suis souvent déçu il en existe peu.
Bref me voilà le premier inscrit dés fin Novembre ! Je n’allais pas louper un tel RV si prés de chez moi (55 minutes à pied, accès par bus, accès par vélib et enfin accès par RER pour les plus éloignés).

Un mot sur le tournoi en général.
Le très excellent organisateur (et joueur qui allait gagner et haut la main avec 4,5/5 son Fermé-Open, j’y reviendrai…) Jean-Michel Coll ne cachait pas qu’il avait pour « modèle » le fermé de Tours (Festival Franck Chandran) et il allait montrer l’étendu de son savoir-faire.

La salle est vraiment spacieuse et les conditions de jeu remarquables du simple fait que nous ne sommes pas entassés les uns sur les autres (récurent problème des opens et des échecs en général).

Les sièges sont confortables et silencieux et c’est tout sauf un détail. Les échiquiers ainsi que les pièces sont en bois et de bonne qualité.

Tous ces éléments relevant du visible sont faciles à objectiver et il reste à évoquer le charme immatériel de l’ensemble du projet qui tient certainement au fait que les fermés impliquent une communauté de préoccupation entre les joueurs toute particulière.
Dans un tournoi fermé l’effet groupe, par construction, existe vraiment de manière palpable et le destin de l’un est de fait encore plus lié d’une certaine façon aux résultats des autres.
Par conséquent on se consulte, on se regarde, on se surveille, on se jauge, on s’intéresse, on cohabite de manière tout à fait différente comparé aux opens.
Alors bien sûr, ce qui précède peut sembler assez curieux me concernant puisqu’au sens strict je vais jouer dans la seule poule qui n’est pas vraiment fermée et qui va fonctionner comme un (tout petit) Open.
Explication:
Il va y avoir 4 poules de 6 joueurs (A, B, C, D) qui eux vont jouer vraiment un fermé mais il se trouve que la dernière poule contiendra 8 inscrits et donc…. Ceci posé la taille de cette poule est telle que les avantages du fermé évoqués ci-avant resteront ce qu’ils sont.
Impossible (et ce serait tout à fait inélégant) de passer maintenant aux parties sans évoquer le maitre-expert (et du café en l’occurrence…) Khaled Benaddou l’Arbitre avec un grand A qui, ferme et rassurant comme toujours, va permettre un sans-faute durant ces 5 jours de compétition.

Jour 1.
Une légère imprécision sur l’affiche concernant les horaires des rondes va nous masser sur le parvis de l’hôtel de ville à 13H30 (heure d’ouverture du bâtiment le lundi).
C’est à 14h00 que les rondes démarreront. Les présentations diverses, le café prêt et le tirage au sort effectué les duels vont commencer.
Plus petit elo du tournoi (mais nous sommes tous 14xx ou 15xx dans cette poule E) je me retrouve finalement dans la meilleure des positions :
« Tout à gagner, rien à perdre fors l’honneur ! » (Ce qui peut être interprété de diverses manières je ne m’en aperçois que maintenant à la relecture de ce billet mais passons…).

J’ai les Noirs et ma Caro-Kann (attaque Panov ci-dessus) ne vas pas trop mal se dérouler à ceci prêt que petit à petit je vais avoir l’impression de ne faire que subir… mais Dame Fortune, qui me quittera peu cette semaine tout en restant parfois à distance raisonnable, va me sourire au 30° coup des Blancs. Dans la position ci-dessous où je viens de jouer Fou e6-d7 afin de le repositionner sans doute en c6 (profitant que d5 est imprenable) mon adversaire va gaffer avec 30.Rf1 abandonnant bien sûr des suites de 30… Fb5+. Je mesure ma chance et me retrouve en tête de la grille américaine le soir-même.

Note pour mon biographe : « Je suis venu par le bus N°111 »

Jour 2.
Je joue l’organisateur Himself qui a fait nulle la veille ce qui le rend forcément accessible. En fait il va à partir de maintenant tout gagner et je vais être la première victime de sa semaine sanguinaire. La partie est pourtant serrée. Et longue.
J’ai les Blancs et par suite de son aventureuse audace du début (gambit Englund) je vais me retrouver avec une belle avance de développement qui hélas…

Bref comme le graphe le montre ci-dessus il y a bien un moment durant lequel (36° coup à jouer ci-dessous) l’égalité au sens de l’ordi est encore au RV alors que je viens d’essuyer une rafale violente et que je reprends à peine mes esprits.


5k2/1b4pp/1p1p1p2/p4qn1/8/P7/2P2PPP/Q3BBK1 w – – 0 36

J’ai certes un pion de moins mais en revanche je dispose de la paire de fous, toute occupée à la défense des derniers remparts de ma maison royale, mais cela ne va pas suffire.
Un combat long et âpre. Mais une défaite. Où est dame fortune ?

Note pour mon biographe : « Je suis venu à pied ce qui constitue sinon un exploit (ce n’est jamais qu’à peine une heure de marche) du moins un itinéraire intéressant. En prenant de bout en bout l’avenue Gambetta on traverse le quartier bourgeois de Maisons-Alfort (Charentonneau (une dénomination qu’amusait beaucoup Jérôme Garcin)) et surtout on passe par l’écluse de Joinville et sa caserne de pompiers.»

Jour 3.
Le drame de la veille derrière moi, je fais face à un sympathique adversaire et je conduis les Noirs.
Caro-Kann variante d’échange je me retrouve avec le trait dans cette position égale ci-dessous.


6r1/5pkb/p3p3/1p1pP3/2rN2p1/P1P1P1K1/1P5R/7R b – – 0 38

Nous sommes au 38° coup. Je joue pour la nulle et l’obtiens par le retour de dame fortune sur proposition de mon adversaire au 44° coup. Comme moi, mon adversaire ne verra pas qu’il disposait d’une possibilité de KO des suites d’une imprécision de ma part vers la fin. Ce n’était pas si facile mais avec l’ordi tout devient limpide. Je reste discret.

Jour 4.
Avec 1,5/3 mes espoirs de victoire s’évanouissent doucement mais la perspective d’un podium reste dans le viseur. L’organisation a la bonne idée d’installer sur l’estrade les différents prix qui seront distribués vendredi soir.

Et là je vois ce cavalier pour le 2°. Mon sang se fige. Il est magnifique et parfaitement raccord avec le nom du cercle pour lequel je joue « Le cavalier de l’espérance de Maisons-Alfort ».

Je double les Noirs et me retrouve dans ma nouvelle variante fétiche de la Caro-Kann la variante Kortchnoï (ci-dessous 6… exf6 joué).

Une bataille violente durant laquelle je vais me retrouver avec 3 pions pour une pièce, ce que je considère comme un léger avantage mais sans pouvoir le transformer aussi je réponds positivement comme la veille à l’offre de nulle de mon adversaire dans la position finale ci-dessous avec le trait donc.


7r/pp3pk1/5pp1/8/8/1P2R3/Pq2QK2/5B2 b – – 0 34

Note pour mon biographe : « Du podium pour lequel je nourris encore quelques espoirs par pure folie c’est la 3° place seulement que je peux bien sûr ambitionner et là, ô joie, je découvre que les médailles pour celle-ci sont bien particulières à la fois par la présence de la boite qui les contient mais également par l’ajout du cordon qui leur est associé. Enfin c’est la présence du 3 dessus qui fait clin d’œil au trinitaire que je suis. Sinon Avenue Gambetta il y a un restaurant nommé « la rôtisserie » qui m’attire maintenant que je me livre à ce circuit pédestre tous les jours».

Jour 5 le dernier.
Il va falloir que les planètes s’alignent si je veux pouvoir repartir de Joinville avec la médaille-podium. En effet nous sommes plusieurs sur les rangs et une simple victoire ne suffirait pas. Mais dame fortune décidément m’a à la bonne, ce n’est rien de le dire, et s’il y a bien un joueur qui va quitter Joinville un peu écœuré c’est clairement mon adversaire du jour.

J’ai les Blancs et déroule mon système de Londres. Dans la position ci-dessous avec le trait je vais m’obséder avec l’idée de profiter de la diagonale qui vise sa dame coincée au moins momentanément. 16 Cg5 sera joué.


qr4k1/r2nppbp/pp1p2p1/2pP2N1/P3bB2/1QP1P2P/1P2BPP1/3RR1K1 b – – 0 16

Mais le calcul de ma (longue) variante est faux après deux mouvements de mon pion e et un sacrifice de qualité la diagonale ne s’ouvrira jamais comme prévu laissant mon fou en f3 obstrué.
Bref j’aurais dû m’arrêter déjeuner à la rôtisserie, un bon repas aurait constitué au moins un bon moment dans cette journée qui s’annonce maussade mais c’était sans compter la patience de Rota Fortunae à mon égard.
Mon adversaire bien heureux de cette nouvelle situation va se relâcher et pour ma part il ne me reste plus qu’à tendre ici et là de temps en temps pour autant que cela reste possible, quelques pièges… Incroyable l’un va fonctionner !!!

Nous sommes ci-dessus et dans cette position désespérée je viens de jouer 26Dxa4 non pas tant pas souci de gober un danger noir mais bien pour laisser trainer un pion empoisonné et ensuite venir mater par un échec sur la 8° rangée… et c’est ce qui va se passer !!!
Comme disait l’immense austro-hongrois (puis polonais, naturalisé français) : « Le vainqueur de la partie est le joueur qui a fait l’avant-dernière erreur. »
Avec +2=2-1 je me retrouve à la troisième place, heureux comme tout et ravi de repartir avec cette bien jolie médaille et quelques points elo en prime.



A bientôt ici ou ailleurs.

Laisser un commentaire